mardi 13 juillet 2010

un assassin frappe à la porte

Qu'en en est-il, en effet, si l'on se tient à Kant, Heidegger et Sartre, dans la résolution d'une situation concrète où mon action est sollicitée et m'engage dans une responsabilité.


  1. Je propose la situation décrite par Benjamin Constant à laquelle répond Kant, en 1797, dans D'un prétendu droit de mentir par humanité.1


La situation est la suivante.

Un ami poursuivi par des assassins se réfugie chez moi. Les assassins, que je connais comme tels, frappent à ma porte, et me demandent si mon ami est dans la maison.

Dois-je leur répondre la vérité et devenir ainsi le moyen de sa probable mort.

Ou bien mentir, ayant jugé ne pas leur devoir la vérité à ses hommes.


On se rappelle tous aisément que dire la vérité est un impératif catégorique,

Mais on oublie la place donnée à la liberté chez Kant dans la raison pratique, où en effet la pratique est l'action de liberté, le Endzweck de l'homme.

Se décider pour le devoir est un choix que je peux fort bien refuser et opter pour la raison pragmatique, avec la finalité immédiate de sauver mon ami, un Letzerzweck parmi d'autres.

Mais quelque soit mon action, elle implique aussi un projet qui me transcende à savoir mon engagement, ou non, dans la possibilité d'un monde en général sans tort (pour ne pas dire plus juste).

Le fait de mentir individuellement, déprécie la valeur de vérité donnée à la parole, mon action détermine la véracité des paroles qui seront prononcés dans l'avenir. Parce que qu'adviendrait-il dans un monde où les paroles qui sont prononcées n'ont plus la significations des mots, et où il n'est plus possible de faire confiance aux autres? Ma responsabilité alors est énorme, car mon action (mentir ou non) m'implique moi personnellement, mais aussi les autres après moi.

Et quoique je mente par “humanité” pour sauver mon ami, en falsifiant mes propos, je projète aussi la possibilité d'un monde où les propos en général ne trouvent plus de crédit et, où tous les droits fondés sur des contrats deviennent caducs. Je cause à la fin un tort à l'humanité.

Le choix est donc là, entre agir selon la raison pratique ou la pragmatique.

Mais en entendant que l'exercice de liberté ne se trouve que dans l'action pratique.


  1. Pour poser la situation et y répondre en se tenant à Sartre, c'est peut-être plus pertinent de rédiger à la troisième personne (il).


Car c'est presque la même situation, mais elle n'est plus hypothétique, et pourrait être prise directement de l'expérience traumatique de plusieurs français sous le gouvernements de Vichy.

La grand-père de M. Dubois, M. Dubois, cache un résistant chez lui, au su d'un très bon ami, fonctionnaire administratif dans une Mairie. Cet ami apprend qu'il y une descente de la gestapo dans le quartier et prévient M. Dubois bourgeois par téléphone.

Il lui enjoint de dénoncer là toute suite le résistant par téléphone à lui, qui se chargera de le sortir de ce mauvais pas. M. Dubois ne croit d'abord pas, mais sa femme effrayée vient en ce moment lui dire que les hommes de la gestapo sont en bas.

Que fait M. Dubois?

D'abord existe-t-il?

C'est-à-dire dans l'action d'offrir refuge à ce membre de la résistance, a-t-il déjà définit cette action comme correspondante à l'image de l'homme qu'il estime qu'il doit être.

Ou bien non. Car, peut être bien qu'il a donné refuge à cet homme au nom de la valeur de la sympathie, mais le cache depuis, par facilité ou peur, pour ne pas se compromettre au cas où l'homme, une fois parti, serait pris et avouerait avoir été caché par lui.

Mais oui, M. Dubois existe. En offrant refuge il savait déjà qu'il choisissait la valeur de la solidarité, et qu'en la choisissant pour lui dans cette action spécifique, il engageait l'humanité entière.

Mais maintenant au nom de cette même solidarité. Que doit-il faire? Les morales générales, c'est entendu, ne sont pas de recettes qui puissent lui dire exactement ce qu'il doit faire dans ce cas particulier qui le touche.

Et d'un autre côté 'homme est déjà perdu, il sera pris, qu'il accepte de le dénoncer ou non à son ami fonctionnaire.

Est-ce que la solidarité ne l'enjoint justement pas de le dénoncer et se sauver lui. A quoi bon se perdre lui aussi?

Les 2 options sont claires: dénoncer ou non?

Ce que M Dubois décidera, n'est pas prescrit. Il existera par cette action, et l'ensemble de ses actions est un projet à valeur universelle.


  1. Pour Heidegger M. Dubois ek-siste du moment où dans le souci il accepte d'abord en quelque sorte de ne pas nommer sa situation.

Ni solidarité, ni dénonciation, toutes 2 valeurs métaphysiques, n'ont ici de place s'il veut se placer dans l'expérience extatique qui permette à l'Etre de se revendiquer et ce faisant le rendre lui homme à son essence.

«La pensée est supérieure à toute action et production», insiste Heidegger, «par l'insignifiance de son accomplir qui est sans résultat»2. L'Ek-sistence est au delà de la théorie et de la praxis3.

M. Dubois au comble du souci de sa situation, peut réaliser son essence d'homme, ek-sister, en exprimant la pensée de l'Etre par le langage, à travers l'Eclaircie (Lichtung) qui montre et cèle à la fois Ce qui est. Le langage sera alors original, des mots seront pensés4 et, si la gestapo le permet et M. Dubois persiste dans l'expérience extatique, ces mots pourront aussi être prononcés, et alors ils le seront comme s'ils l'étaient pour la première et dernière fois.

1«Dans “Des reactions politiques” parues dans le recueil “La France de l'an 1797”», cité par Kant dans “D'un prétendu droit de mentir par humanité”, Emmanuel Kant, Théorie et pratique. D'un prétendu droit de mentir par humanité. La fin de toutes choses, trad. Françoise Proust, Flammarion, 1994, p. 97.

2Martin Heidegger, Questions III et IV, trad. Jean Beaufret et al. “Lettre sur l'humanisme”,ed. Gallimard, 1966, p. 124.

3“La pensée qui pose la vérité de l'Etre, et par là même détermine le séjour essentiel de l'homme à partir de l'Etre et vers lui, n'est ni éthique ni onthologique…cette pensée n'est ni théorique ni pratique. Elle se produit avant cette distinction.” ibid., p. 119.

4«…il n'y a qu'un seul énoncé de ce que la pensée a à dire qui soit selon la nature même de ce qu'elle a à dire», ibid, p. 120.

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